Human Side

La Grande Fumisterie du Capitalisme à la Francaise
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Article écrit en réponse aux articles parus dans le Monde du 8 Mars 94 « Le Pseudo-Capitalisme à la francaise» (cité dans « Corporate Governance in Europe » http://www.ecgi.org/codes/documents/ceps_june1995.pdf
Toujours d'actualité, il examine les implications du « pseudo-capitalisme à la française » pour la société économique francaise dans son ensemble.
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La Grande Fumisterie* du Capitalisme à la Francaise
* Profession traitant de la fumée* et de ses sous-produits
* Ensemble de produits gazeux et des particules solides extrêmement ténues se dégageant des corps en combustion
 
Y a-t-il une corrélation entre l'effritement du leadership dans les grandes entreprises Francaises et le développement du chômage avec ses effets dévastateurs, le désaveu des dirigeants politiques de tous bords, et les signes précurseurs d'une instabilité sociale inconnue depuis 25 ans?
 
Dans leurs remarquables articles du 8 Mars dans ces colonnes, Eric Leser, Caroline Monnet, Michel Bauer, Bénédicte Bertin-Mourot et François Mourot ont décrit dans le détail l'ossification de la structure des grandes entreprises Francaises. Ce qu'ils n'ont pas abordé, c'est l'effet de cette ossification sur la légitimité du rôle des dirigeants et les dangers que pose cette érosion. Deux problèmes se posent en effet: un problème de droit d'une part, et un problème économique d'autre part.
 
Pour ce qui est du problème de droit, le management d'une entreprise est responsable de ses actes vis-à-vis d'abord de ses actionnaires, puis de ses employés et de l'état. Cette responsabilité, le devoir de "rendre des comptes" et de représenter d'une façon crédible la condition de l'entreprise, sa performance et son futur raisonnablement prévisible, ainsi que sa faculté de l'influencer favorablement sont les seuls supports de la légitimité d'une équipe de direction.
 
Pour le bien de l'entreprise, de ses actionnaires, de ses employés, de la société et pour leur propre bien, les dirigeants auront tout intérêt a utiliser toutes les opportunités et a respecter toutes les contraintes que cette légitimité implique.
Or, à quoi assistons-nous? A un processus de déresponsabilisation des dirigeants qui peuvent laisser des "ardoises" financières et humaines monumentales (Bull, Air France, La Poste, ...) sans le moindre semblant de sanction. Pour être juste, il convient de remarquer qu'une performance managériale saine n'a pas plus de chances de se voir entériner, ce qui explique l'absence remarquable des qualités de rigueur et de droiture dont pourtant les générations futures ont tant besoin pour s'en inspirer.
 
 
Les ficelles utilisées (publiquement!) pour manipuler la représentation de la condition et de la performance des grandes entreprises Francaises sont tellement grosses que seule l'énormité de la chose empêche le véritable scandale d'éclater au grand jour.
 
Les mécanismes d'autoprotection et de participations croisées créent une situation telle qu'aux U.S.A. par exemple, elle constituerait une incitation irrésistible à investir dans ces sociétés uniquement afin de pouvoir assigner ses dirigeants et l'état en justice sous le prétexte qu'ils bafouent les droits des actionnaires minoritaires (à moins que ces groupes aient déjà étés démembrés car ils enfreignent presque tous les lois antitrust).
 
Le problème économique que posent ces pratiques concerne les mêmes parties, mais il est d'autant plus grave qu'il conditionne le futur de prés de la moitié de l'économie nationale, et donc notre degré de préparation pour jouer un rôle significatif au sein de cette économie intégrée qu'est devenu le marché mondial.
 
L'un des ingrédients indispensable de la performance et de la pérennité d'une entreprise est en effet un leadership sain (capable, responsable et respectable). La santé de ce leadership relève autant des qualités humaines des individus qui le composent que du rôle et des relations entre les différentes parties. Ces relations peuvent être définies comme les règles du jeu qui régissent les rapports entre les actionnaires, le management, le personnel (cette "première richesse de l'entreprise") et le marché. Dans ses rapports, le seul rôle légitime de l'état est celui d'actionnaire au même titre que tout autre actionnaire. Si la définition de ces rêgles du jeu devient viciée au point qu'elles empêchent les différentes parties de jouer leur rôles, il se produit à terme une inadéquation de l'entreprise à son environnement et une incapacité de survigre grâce a ses seuls mérites.
 
 
Comment ne pas rester pantois devant la rocambolecque aventure d'une entreprise comme Bull consolidée, rapiécée, démembrée, alliée, restructurée, protégée par de multiples gouvernements successifs pour ne représenter en définitive qu'un boulet qui ne continue à exister que du fait de perfusions massives en provenance de vaches à lait qui représentent des monopoles sur leurs marchés?
 
Ce dont il s'agit ici est d'une incapacité à comprendre les règles d'une économie existant pourtant depuis des siècles. Depuis les caravannes de la soie jusqu'à Bill Gates, depuis les marchands vénitiens jusqu'à Jean Renault, le profit n'a jamais été que la juste rémunération du risque pris et de la faculté de reconnaitre et de saisir les opportunités en mobilisant les ressources nécessaires. Dès que le facteur risque ou la faculté de reconnaitre et de saisir les opportunités disparait, toute forme de légitimité du profit disparait avec eux.
 
Or, quel est l'exemple donné par nos "leaders" politico-économiques a travers notamment les restructurations dont les privatisations fournissent l'occasion? Celui de la consolidation d'un pouvoir entre les mains de ceux qui ont donné de multiples preuves qu'ils ne savaient pas l'exercer. Le chômage s'accroit sans que ce qui le génère soit véritablement mis en cause, le ton des articles dans la presse (dont celui-ci) est de plus en plus cinglant vis-à-vis des dirigeants et le gâchis des talents et des motivations des forces vives qui ne font pas partie de "l'establishment" (c'est à dire l'immense majorité) de ce pays confine à l'irréel.
 
C'est avec effroi que l'on s'interroge sur la validité de cette affirmation entendue encore cà et là dans la bouche de quelques anciens "ce qu'il faut, c'est une bonne guerre". On se prend à rêver a un modèle de fonctionnement modelé par nos dirigeants (ils ont été dans les meilleures écoles pour apprendre à le faire) que la somme totale de talent et d'engagement potentiel des acteurs économiques d'efforcerait de faire fonctionner. Dans ce modèle, le leadership ...